Majelan est une application lancée début juin 2019 dans l'appstore français.
La promesse de ses créateurs, qui parlaient beaucoup de "Netflix du podcast" dans les pré-annonces de l'application, peut aujourd'hui se résumer à : devenir un Luminary à la française qui essaierait bien de dupliquer dans le petit monde des podcasts français, le succès (d'estime) des interfaces de Molotov TV pour la consommation de télévision delinearisée.
Le challenge risque d'être très très difficile, en ce second semestre de 2019. Le géant suédois de la musique en ligne, Spotify, multiplie les acquisitions de start-ups et d'outils pour muscler son jeu dans l'aide à la création et au référencement de podcasts. De son côté Apple vient de tuer son préhistorique iTunes pour créer notamment une app dédiée au podcast, dont on peut imaginer que la firme de Cupertino fera une sorte de Apple News du podcast, à moyenne échéance. Dans l'ombre Google Play continue d'agréger les liens RSS des podcasts qui le désirent, et tout un écosystème de "players" (dont mettons, Podcast Addict) s'est mis en place pour fournir à l'auditeur de podcast un confort d'usage sans commune mesure
Alors pourquoi parler de Majelan plutôt que de Tootak, par exemple, autre application française (découverte pour ma part dans une twit discussion avec @kwyxz -que je salue si le hasard l'amène ici-), lancée en novembre 2018? Une aînée dont le modèle semble avoir pourtant inspiré aussi les créateurs de l'application Majelan.
La curiosité vient de la personnalité de son créateur, Mathieu Gallet, ancien dirigeant de Radio France au bureau de palissandre, premier patron de l'audiovisuel public débarqué de son poste sous l'ère Macron.
Associé à Arthur Pericoz serial entrepreneur de 29 ans, connu pour avoir monté sa première entreprise dédiée au streaming à l'âge de 15 printemps, ils viennent donc de lancer Majelan: une application dédiée aux baladodiffusions qu'ils envisagent de transformer en la première application de podcasts dans laquelle les utilisateurs acceptent de payer un écot pour du contenu ou des fonctionnalités premium.
Une gageure dans laquelle n'osent pas encore se lancer ni Spotify, ni Apple, et écueil sur lequel ont déjà trébuché en France Candice Marchal et Pascale Clark de Boxsons, contraintes de passer en mode off dans le courant du mois de mai 2019.
Pour y arriver Majelan adopte une stratégie double Molotovo-Facebooko-Netflixéenne”.
Puis espérer valoriser ce vivier d'utilisateurs lors d'une revente (parce que si c'est gratuit c'est que c'est toi le produit) ou pousser à la conversion d'un à deux pourcents de l'audience gratuite en auditeurs payants attirés par un contenu de “grande qualité”’ pour lequel l'utilisateur serait prêt à débourser 1.99€ à l'acte ou 4.99€ au mois.
On laissera le lecteur juge de la qualité actuelle des productions premium. Je n'y ai encore rien perçu qui retienne l'attrait de mon portefeuille, mais nous sommes au lancement.
L’autre volet, que j’apparente plutôt à une stratégie “à la Molotov”, consiste à essayer par son look and feel et sa mécanique, de se rendre acteur incontournable du secteur dans lequel on entend se positionner. Molotov proposait, au lancement, une interface à l’ergonomie et design largement au-dessus de la moyenne des sites de replay des chaînes de télé françaises.
Le service, par ailleurs, les agrégeait toutes à un endroit unique, pour faciliter la vie des utilisateurs.
Interface propre + service utile, Molotov a acquis un nombre d’utilisateurs non négligeable. Avec un certain sex-appeal. C’est pourquoi le site de Jean-David Blanc et Pierre Lescure est encore à l’heure où j’écris ces lignes en discussion de partenariat avec des acteurs privés et même peut-être publics (le projet Salto de Delphine Ernotte chez France Télévision est-il réellement autre chose qu’un Molotov qui n’a pas encore créé sa plateforme technique?).
Majelan tente le coup à l’identique. L’interface est propre, belle, et en conférence de presse Mathieu Gallet a beaucoup vanté la profondeur du catalogue référencé ou les outils facilitant, par le biais d’algorithmes, la découverte de podcasts dans des univers pour lesquels l’utilisateur a une certaine appétence.
La data traitée doit enrichir le service rendu à l’utilisateur, l’utilisateur doit enrichir la data comportementale de la firme et proposer de nouveau liens à agréger (comme au bon vieux temps des débuts de l’internet et des portails Yahoo !) . Cercle habituel des médias dits sociaux. Double stratégie qui doit conduire à la profitabilité.
Brûler les étapes trop vite.
Majelan a choisi, pour sortir vite, de passer outre la case “discussion de gentlemen” avec la plupart des créateurs des centaines de podcasts qu’il a décidé d’intégrer au démarrage de son service. Arguant du fait qu’un annuaire n’a pas réellement besoin de demander l’avis des liens proposés publiquement, Majelan a référencé des centaines de liens de podcasteurs indépendants, mais aussi de grande maisons comme l’INA et Radio France, anciens fiefs de Mathieu Gallet.
Quand de gros acteurs privés se torchent avec le consentement de petits noms du secteur, ça donne un entrefilet sur les réseaux sociaux. Quand on “oublie” de demander la permission à un média d'envergure nationale pour le référencement de contenu…. Ca donne des affaires Copiepresse vs Google Belgique, ou les médias privés contre Google News (bon ça a quand même fini en loi copyright européenne ce bousin), et aujourd’hui Radio France contre Majelan. Avec pour seule subtilité de “l’affaire Majelan” que Radio France est un média de service public, là où la presse qui a porté le combat du copyright chez Google était une somme d’entreprises privées qui s’estimaient lésées dans la course au business réalisé autour de leur contenu.
En effet, quelques heures à peine après la conférence de presse de lancement de l’app, Majelan a été sommé, par Radio France de retirer le contenu de la radio nationale de sa proposition de service. Majelan ne s’exécute pas. La start-up argumente que les podcasts de Radio France étant en flux public RSS, la Maison Ronde ne peut l'empêcher de les reprendre.
Une réaction que Laurent Frisch, responsable du numérique pour la Maison de la Radio a commenté sur Twitter et dans les Echos « Nous ne sommes pas d'accord avec cette vision des choses, répond Laurent Frisch, responsable numérique chez Radio France. Cela contrevient aux conditions d'utilisation. Nous leur avons demandé le retrait immédiat de nos podcasts et attendons leur réponse, nous aviserons en fonction ».
"Les RSS de podcasts sont une techno qui rend les contenus accessibles à tous"
is the new
"Les pages web sont une techno qui rend les contenus accessibles à tous."
Exact. Mais ça ne donne pas le droit de les reproduire librement.
Cf ici https://t.co/aB0FZIGDr1 via @radiofrance pic.twitter.com/6TN2hc6iAu
— Laurent Frisch (@laurentfrisch) 5 juin 2019
Sibyle Veil, actuelle DG du groupe Radio France a enfoncé le clou un peu plus tard dans la journée du 6 juin: interrogée par Le Monde elle ajoute "Le service public n'a pas vocation à servir de produit d'appel pour des acteurs privés, qui commercialisent ensuite leurs propres contenus concurrents des nôtres". (Ozap)
A l’heure d’écrire ces lignes la situation n’a pas évolué. Pour être tout à fait complet je me dois de dire que les plateformes Tootak et Sybel par exemple, n’ont jamais réussi non plus à nouer un accord de “distribution” ou de référencement des podcasts du service public, quand bien même ils auraient proposé des solutions financières, tandis que les podcasts de Radio France restent à ce jour référencés chez Google, Spotify, Tune In, Apple….
[Edit 10/06: on me signale du côté de Radio France que les liens Radio France, trouvables sur Google Podcasts ne sont pas officiels, dans la mesure où Radio France a obligé Google Podcasts à déréférencer ses productions à l'été 2018, au prix de développements techniques côté Maison de la Radio. Je précise. Tant que je suis au rayon corrections, après vérification avec un compte "payant" Spotify, je ne trouve pas de Radio France sur ce support. Les émissions de Radio France sont par contre bien disponibles chez Apple et Tune In. Il y aurait cependant un article entier à écrire sur la "nature" de la radio en 2019 puis que si les contenus radios ne sont pas disponibles sur Google podcasts ils restent distribués par Google quand même, si on inclut dans le comptage la distribution des vidéos des émissions de radio france filmées et disponibles en très grand nombre sur Youtube. Certes ce ne sont pas des liens RSS référencés dans une app dédiée au podcast, mais ça reste du contenu radio distribué par un tiers, privé, dans son propre outil avec accord financier sur la publicité, dont le tiers se sert comme autant de produits d'appels générateurs de clic et vecteur de consommation vidéo concurrente à l'offre de Radio France.]
Je m’attarde sur cette actualité parce qu’elle est questionnante à de multiples niveaux.
Et que je ne parviens pas à trouver de réponse qui me satisfasse entièrement, tant le sujet est complexe en terme d'éthique, de commerce et de questionnement du rôle du service public. Je vous livre mes impressions à chaud et n’hésitez pas à enrichir ma compréhension des enjeux, via les commentaires.
Plusieurs réflexions me viennent autour de cette "affaire" :
- [Edit 10/06: les contenus de Radio France, imaginés et réalisés pour la radiodiffusion, distribués en par la technologie RSS avec enclosure audio sont-ils pour autant des "podcasts" au sens créatif du terme? Je renvoie à cette réflexion chipée dans un riche thread de Yann R. sur la nature du podcast; que ma signalé Grégory Ienco : ]
L’émission de radio est disponible EN podcast mais n’est pas UN podcast.
Je peux passer un CD à la télévision, ça reste un album, pas une émission de télé.
Le moyen technique ≠ le média
(Vous vous souvenez quand les YouTubeurs FR appelaient leurs vlogs des podcasts ? Ahahah.)
— Yann R. (@InkSHD) 5 juin 2019
- Est-il envisageable, normal, dans un business plan de start-up mobile, de développer un service privé de "distribution" de contenus publics, qui soit rémunérateur pour l'investisseur? Ou tout simplement d'organiser une forme de grapillage du volume d’offre gratuite disponible sur le web aux seules fin de valoriser un catalogue annoncé comme personnel, et diriger au passage vers une offre premium? Le tout par le biais d'un contenu payé par la redevance des contribuables français et le financement de l'état?
- Oh wait, mais n’est-ce pas justement la stratégie de Facebook qui a d’abord agrégé massivement les contenus des médias sur sa plateforme à inscription, pour générer un volume d’inscrits utiles à ses études comportementales (et à leur revente à Cambridge Analytica, pour ne citer qu’eux) , ou attraper l’essentiel du marché publicitaire numérique mobile en France. Puis, dans la logique de cette stratégie de siphonnage, Facebook a pu commencer à déprécier les contenu desdits médias dans les fils d’activité des utilisateurs inscrits, dès l’instant où la marque de Palo Alto s'est mise à devenir productrice de contenus elle-même. (Je dis Facebook et pas Google parce que j’ai beaucoup cité Google plus haut et qu’à part un timide essai en production de séries sur Youtube le business de Google se fait sur le temps passé devant des Google ads et pas devant des productions maison. Mais le mécanisme de cannibalisation de l'offre à des fins business est assez similaire)
- A ce titre est-ce que la plus grosse erreur de stratégie de Majelan n'est-elle pas d'avoir démarré par cette agrégation des contenus de Radio France pour se créer un catalogue d'appel? Alors que si la boîte française avait d'abord fourni des outils de type hébergement (Youtube, Spotify), des outils de création de podcast (Spotify) et pu annoncer une audience captive énorme (Youtube, Spotify, facebook...) la maison ronde aurait hésité à refuser de laisser syndiquer le contenu public. A ce titre la réponse de madame Veil est questionnante sur ce point: quels sont les critères appliqués par Radio France pour autoriser un acteur privé et en refuser un autre?
[Edit 10/06 : sur ce point précis, j'ai obtenu un peu plus d'information sur les critères de choix, via un bref échange avec Laurent Frisch. Il me confirme que la distinction entre une autorisation et un veto se situe au niveau du rôle d'éditeur ou non de chaque prétendant. Apple Podcasts ou Tune in ne vont pas "faire leur marché" sur internet pour se créer une vitrine. Dans ces différents outils, c'est l'éditeur Radio France qui acte sa présence ou non sur le service en question et choisit ce qu'il décide de distribuer chez ces acteurs en étudiant le rapport coût / bénéfice de cette opération. En essayant d'y faire appliquer une durée de droit d'exploitation conforme aux usages de la radio émettrice. Ceci explique pourquoi Radio France continue la distribution chez ces acteurs. Une distinction qui s'avère pourtant parfois ténue si on la remet en perspective avec les propos de Mme Veil cités plus haut : si Apple Podcasts ou Tune in ne sont pas encore (mais m'est avis que ça ne saurait tarder) des producteurs de contenus eux-mêmes, les contenus du service public continuent pourtant d'y jouer le rôle de produit d'appel.
Par ailleurs, ajoute Laurent Frisch "nous sommes en train d'organiser une diminution de notre présence sur Apple. Le problème principal est l'étau dans lequel sont pris les éditeurs sur iPhone : Apple capte complètement l'usage des podcasts sur iOS de par la pré-installation de son appli - c'est un problème pour les éditeurs comme nous. Ce problème dépasse le cas de Radio France. Enfin, nous demandons ou demanderons le retrait de nos flux et podcasts de toute plateforme qui viendrait se servir chez nous pour construire son offre. Nous les considérons comme des éditeurs concurrents. Nous acceptons d'avoir des discussions commerciales avec ces plateformes, afin de créer un partage de la valeur, et non qu'ils en créent sans nous rétrocéder quoi que ce soit. C'est en cela que nous disons n'avoir pas vocation à servir de produit d'appel pour des plateformes commerciales - qu'elles viennent des GAFA ou d'autres acteurs"
Reste cependant que des acteurs générateurs revenus publicitaires, type Youtube ou même Podcast addict qui se rémunèrent via de la publicité display, tout en évitant de devenir éditeurs stricto sensu, puisent dans la notoriété des podcasts de la maison de la radio pour asseoir la leur et leur financement sans rétribution systématique: où en seraient ce type d'acteurs s'il était impossible d'y trouver ou d'y consulter le contenu d'un des plus gros pourvoyeurs français du genre? ] - Est-il souhaitable de voir un service public privilégier des plateformes par rapport aux autres? La neutralité en ce sens n'est-elle pas de mise? (NDLR: sous réserve d’agrégation sur des services non idéologiquement nauséabonds). Si le service public a pour vocation la diffusion de la culture et des médias de qualité sans fake news, il devrait peut-être rester neutre pour toute utilisation ou agrégation sans idéologie, des contenus produits pour le public. Mieux encore: pourrait-on imaginer une sorte de "Must Carry" des contenus audiovisuels publics par les acteurs privés du podcast, comme le CSA en a imaginé un pour les réseaux télé satellitaires?
Pour éviter la situation un peu ubuesque aujourd’hui créée : Radio France sabre le business d’une start-up française et favorise celui de géants américains du web social.
En sous-texte on comprend aussi que si Radio France privilégie Apple ou Youtube, c'est que la position "quasi" monopolistique de ces acteurs trouve un écho de profitabilité au sein d'un média dont la seule métrique valorisable auprès de ses bailleurs de fond (l'Etat) est: l'audience. Plus il y a d'audience et plus le bailleur justifie l'investissement d'argent public auprès du média financé par le contribuable dans un univers politique tendant à la réduction des déficits. Ok mais dans ce cas, une fois encore, le service en question ne doit-il pas rester agnostique des tiers qui font du financement sur son dos? (Google, facebook, Spotify, Apple, comme Majelan) . Il est amusant de noter que dès que le service en question n’apporte pas la garantie d’audience que procure un Google, facebook ou Apple, le questionnement éthique de la distribution de contenus publics sur une plateforme privée réapparaît. - En filigrane encore se pose aussi la question de la dépendance de la plupart des médias publics et privés européens à l'audience fournie par les GAFAM.
[Edit 10/06 à titre d'exemple, voici comment RTL annonçait la semaine dernière le lancement de podcasts originaux : "les podcasts sont disponibles sur RTL.fr, 6Play, les plateformes partenaires (Apple podcast, Google podcast, Soundcloud, YouTube, Dailymotion) et via les réseaux sociaux (Facebook, Instagram et Twitter)" (Source RTL)].
Qui irait "unplugger" sa garantie statistique? A part la BBC, pas grand monde : A: The BBC requires platforms (such as Google’s Assistant) to meet certain conditions for BBC content to be available on their services. We seek to make our content as accessible to audiences as possible, but until it can be made available in a way that meets our Terms of Use and the BBC’s Distribution Policy, certain BBC content will be unavailable through specific Google products.
Antoine Droux a déjà traité le sujet de la relation de Google avec l'audio dans l'émission Médialogues de la RTS aux Radiodays ainsi que celui du rapport de Radio France avec les agrégateurs tiers. (A 10'56'' : l'intérêt de Google pour l'audio + A 14'53'' : Ari de Sousa de Radio France sur la relation avec des plateformes tierces).
Par contre dès l'instant où le volume d'auditeurs apporté dans la dot de l'entreprise privée n'est plus certain... Se repose la question de l'autodétermination d'une marque, fut-elle publique, à l'usage qui est fait de son contenu. On refuse à Majelan ce qu'on autorise à Youtube, parce que Google et consorts assurent un confortable matelas d'audience valorisable auprès du ministère de tutelle. Matelas que ne peut encore promettre un service nouveau tel Majelan. Et pourtant dans les deux cas, le média est soumis aux décisions de l'acteur privé. Majelan, à terme, mettra en avant ses productions propres, ou ses mécaniques rémunératrices, comme Google , Apple ou Facebook le font déjà. Dans les deux cas une entreprise privée croît en utilisant la notoriété et le catalogue du média public. Mais dans le premier cas, il n'y a encore aucune garantie de volume.
La pression de la "plateforme" planant sur tout l'audiovisuel public français.
- En réflexion “d’uchronie politique” (j'aime bien faire un peu d'uchronie sur un blog, des fois elle devient juste de l'anticipation), on peut deviner dans le propos de Sibyle Veil les futurs “mouvements stratégiques” du groupe radio France sommé par le gouvernement et ses réformes de l’audiovisuel public, de trouver une voie pour une amélioration de la performance / la réduction des coûts à horizon 2022.
La perspective d’une réforme des services publics en 2022 a réveillé le parlement, s’agissant de l’audiovisuel payé par l'électeur. Il ne se passe pas six mois sans qu’une nouvelle mission: Dumas à l’Assemblée, Smadja auprès de la Ministre Nyssen, “réenchanter l’audiovisuel public” au Sénat, Courson auprès d'Edouard Philippe … Ne se propose d’expliquer aux patrons de l’audiovisuel français comment faire encore mieux leur métier de chef de navire.
Le point commun de toutes les missions qui ont déjà rendu leurs conclusions est, à chaque fois, d'identifier le modèle Netflix comme un monstre effrayant, mais aussi comme un succès majeur dans sa réinvention de la consommation de contenu audiovisuel en non linéaire. Dans ce contexte France Télévisions songe à Salto, Arte lance une plateforme vidéo culturelle européenne, les présidents Macron et Trudeau demandent d’inventer une plateforme de distribution de vidéos francophones… Avec des moyens qui ne pourront jamais égaler ceux engagés par Netflix, mais ceci est une autre histoire.
La plateforme “à la Netflix” a le vent en poupe auprès des décideurs politiques et les patrons de chaînes s’emparent opportunément de la thématique. Même France Médias Monde a annoncé en mai 2019 une “plateforme” en partenariat avec la Deutsche Welle alors qu’en février elle n’était présentée que comme une offre numérique d’information plurilingue et participative, prioritairement destinée aux jeunes Européens.
Il y a fort à imaginer que la décision de l’ANCIEN patron de Radio France de tenter de devenir le service de référence pour la consommation de podcasts francophones a du plutôt agacer la NOUVELLE direction du groupe public qui dans sa course vers 2022 se serait sans doute bien vue le fabriquer et le revendiquer elle-même: "Notre ambition est de créer une plateforme de destination où le public viendra chercher ses contenus préférés, mais aussi en découvrir de nouveaux" a précisé madame Veil au Monde.
C’est sûr que dans ce contexte, voir l’ancien boss reprendre en privé un étendard “de plateforme agrégatrice à la Netflix”... Qui est celui que chaque patron de l’audiovisuel a inscrit dans sa feuille de route pour 2022… Je peux concevoir que cela puisse créer un peu de tension dans le dialogue commercial avec Majelan. Cela permet en tous cas de mieux comprendre la décision: "Apple Oui, Majelan non", de Radio France. - Finissons par un réflexion de prospective historique : on peut se laisser aller à songer qu’avec la loi copyright européenne transposée en droit national, les médias privés pressent les Gafam de payer pour l'usage de leurs contenus, tandis que les services publics auront tout intérêt statistique à ce que ces mêmes GAFAM reprennent largement le leur.
J'anticipe en pensant qu'à très court terme, la pression d'une audience en baisse sur les médias privés (par la baisse d'exposition d'un Google peu enclin à payer ce qu'il a gratuitement, par ailleurs, avec les services publics), amènera ces médias privés à questionner un prétendu anti-jeu des médias publics qui continuent de filer tout gratuitement à Google (puisque leur seule métrique de performance par rapport au bailleur de fond étatique, est la mesure d'audience) .
Si j'étais joueur, je parierais qu'une prérogative quelconque imposera, à terme, des règles contraignantes aux médias de service public dans la distribution de leur contenu vers les GAFAM. Pour ne pas perturber la libre concurrence. De ce fait, les audiences des services publics baisseront mathématiquement (Google n'ayant plus d'intérêt majeur à favoriser un acteur gratuit par rapport à un payant).
Les médias privés investiront dans le Search Engine Marketing Google, des sommes qu'aucun média public n'osera se permettre. Google se frottera les mains et encouragera cette course à l'échalotte publicitaire. Une baisse d'audience des médias publics en ligne sera à suivre, forcément.
Et il y aura à ce moment là au moins l'un ou l'autre député, pour questionner la rentabilité d'un service public dont l'audience est en berne... Celui là prendra l'exemple du "no billag" suisse pour questionner la redevance audiovisuelle publique. Et sa réflexion entraînera de nouvelles restrictions de moyens, que la proposition "stop redevance"soit retenue ou rejetée.